Le porno espagnol: Une industrie en mutation
L’industrie du film pour adultes en Espagne a connu une trajectoire singulière : de l’âge d’or à la dislocation, pour renaître aujourd’hui sous de nouvelles formes numériques.
ACTU
Carlos Ramirez
10/24/2025
Le porno espagnol sous tension : d’un âge d’or à une ère numérique
Pendant près de deux décennies, l’Espagne a été l’un des pôles les plus dynamiques du cinéma pour adultes en Europe. Entre la fin des années 1980 et le début des années 2000, l’industrie pornographique espagnole produisait jusqu’à 1 000 films par an, avec près de 170 entreprises et un chiffre d’affaires estimé à 470 millions d’euros. Des réalisateurs comme José María Ponce ou Ignacio F. Iquino ont posé les bases d’une véritable école du X ibérique : des tournages scénarisés, une distribution organisée et même des festivals spécialisés, comme le FICEB de Barcelone, qui attira jusqu’à 15 000 visiteurs par an.
Mais cet élan s’est brisé au tournant des années 2000. Internet, la gratuité et le piratage ont pulvérisé le modèle économique. Les salles X ont fermé, les vidéoclubs ont disparu et les producteurs espagnols n’ont pas su s’adapter au choc numérique. En 2006, l’Espagne ne réalisait plus qu’une cinquantaine de films X par an, contre plusieurs centaines dans les années fastes. Le “star-system” local, incarné par des figures comme Sophie Evans ou Nacho Vidal, s’est effacé au profit d’un contenu anonyme, court, gratuit et mondialisé.
Le changement de paradigme est total : les grandes productrices ont laissé place aux créateurs indépendants, portés par des plateformes comme OnlyFans, ManyVids ou Fansly. Depuis la pandémie, ces espaces sont devenus le cœur battant d’un porno personnalisé, interactif et souvent amateur. Le rapport de force s’est inversé : les acteurs ne sont plus de simples exécutants mais des entrepreneurs de leur propre image. Ils contrôlent leurs contenus, choisissent leurs partenaires et encaissent directement leurs revenus via abonnements, tips et lives.
Cette mutation a toutefois un revers : l’absence de cadre légal clair. Les créateurs espagnols travaillent souvent sans protection sociale ni statut reconnu. Le secteur, toujours perçu comme tabou, reste exclu de toute reconnaissance culturelle ou économique. Contrairement aux États-Unis ou à la République tchèque, l’Espagne n’a jamais accordé de soutien public ni structuré de représentation professionnelle stable. Résultat : une précarité endémique et une invisibilisation médiatique.
Sur le plan sociétal, les chiffres illustrent une autre réalité : 66,8 % des adolescents espagnols entre 14 et 18 ans ont déjà visionné du porno, selon une étude du Centro Reina Sofía (2023). Un quart d’entre eux (24 %) reconnaît consommer régulièrement des contenus comportant de la violence physique ou verbale. Des données qui interrogent l’absence d’éducation à la sexualité et la banalisation d’un modèle de plaisir standardisé, souvent importé de l’étranger.
Face à cette situation, quelques initiatives tentent de redonner une identité au porno espagnol. Des projets comme Cumlouder, lancé à Barcelone au milieu des années 2000, ont réinventé le genre en misant sur la rapidité, la viralité et l’esthétique web. D’autres créateurs misent aujourd’hui sur des formats éthiques, inclusifs ou immersifs, adaptés à une génération plus consciente des enjeux de consentement et de représentation.
L’histoire du porno espagnol est celle d’une industrie passée de la pellicule à la plateforme, d’une structure organisée à une économie de créateurs atomisée. Si son modèle classique s’est effondré, il renaît ailleurs : plus libre, plus fragmenté, mais aussi plus fragile. La question n’est plus de savoir s’il survivra, mais sous quelle forme il choisira de se réinventer.








